Dix jours maintenant que Roland a disparu et le monde tourne toujours, il y a juste un vide, là, comme si un millénariste transparent était assis dans ce coin...
Le matin de la cérémonie d'adieu, j'étais en voiture et c'était un moment où je n'y pensais plus, concentré sur ce que nous allions faire. Le random du lecteur de mp3 de la voiture nous a balancé du Brain Damage, à 11h, l'heure où son corps devait quitter la terre, ne laissant que son souvenir errer dans la psychosphère...
J'ai abandonné mes convictions religieuses dans mon enfance, à la découverte de l'inexistence des cloches de Pâques (il y avait des œufs en chocolat plein l'armoire !). Ce jour-là, j'ai pris conscience que la petite souris n'existait pas non plus. Pire, que le Père Noël était aussi imaginaire. Et le plus horrible : les êtres en qui j'avais la plus aveugle confiance, mes parents, m'avaient menti sur tous ces sujets durant toute ma vie (même ça ne faisait pas si longtemps que ça). J'ai pleuré à chaudes larmes sur cette trahison et j'ai douté ensuite systématiquement de ce qu'ils me disaient, balançant aux chardons par la même occasion, les sornettes débitées par les curés, catéchèses et autres fous quotidiens de dieu (ah merde, je ne trouve plus la majuscule. Bon. C'est pas plus mal...) Tout ça pour dire que je sais bien que c'est le hasard qui m'a mis du Brain Damage à cette heure-là (d'autant que la probabilité est renforcée par le fait qu'il y a beaucoup de titres de BD dans ma sélection), mais quand même, s'il devait y avoir un coup de pouce surnaturel, je préfèrerais que cela vienne de l'Archétype Incarné de l'écrivain rebelle de SF...
Comme j'ai peu confiance dans la pérennité des forums, je recopie ici, dans ce blog transformé en journal intime / carnet de souvenirs, deux textes que j'ai écrit sur des forums tout de suite après avoir reçu la triste nouvelle...
1/
J'ai appris ça par téléphone ce midi et je m'arrange pour rester avec les enfants, parce que tout seul, je pleure...
Roland
était un type extraordinaire et on a passé de bons moments de
conventions en festivals... J'ai beaucoup pleuré chez lui dans les
années 80, à cause de mon allergie féline et l'omniprésence de Shayol,
son chat (nommé ainsi d'après la fameuse planète dans Les Seigneurs de
l'Instrumentalité, Roland, c'était la SF 24h sur 24)... J'ai plongé dans
la psychosphère dès ses débuts, j'ai publié une paire de ses nouvelles
au temps glorieux des fanzines avant qu'il soit professionnel. Il m'a
fait découvrir plein de choses, y compris des trucs qui n'ont rien à
voir avec la SF (comme le halva, miam). J'aimais ses colères, son
érudition, ses contradictions. J'aimais son végétarisme à géométrie
variable. J'aimais ses enthousiasmes, son acharnement, sa générosité...
Bref, j'aimais Roland et les années passées sans le voir n'y changent
rien...
Et puis j'aimais, j'aime et j'aimerai ses livres, son
univers construit petit à petit, avec humour (toujours), démesure et
intelligence... J'étais en train de relire Les Futurs Mystères de Paris,
que j'ai rachetés dans l'édition de l'Atalante... J'avais justement relu le mois
dernier, les dédicaces délirantes qu'il
m'avait faites sur les livres de Jimmy Guieu écrits par ses soins sous le
pseudonyme de Richard Wolfram... Excellent...
Si vous voulez rire un peu, voici deux nouvelles de l'époque joyeuse du fanzinat qu'il offrait en ebook :
http://shayolfreepress.blogspot.fr/
Oui, Shayol encore...
Quant
aux disques de Brain Damage (sur Shayol Records, bien sûr...), si vous voulez y jeter une oreille, ils sont presque tous
en téléchargement gratuit sur le site du groupe que Roland avait mis en
ligne il y a quelques années :
http://rcw.nerim.net/brain/brainac.html
Mes
filles adorent écouter "Viens danser le Smurf avec les Schtroumpfs" et
je me souviens des gens qui se retournaient sur ma cadette dans la rue,
un jour qu'elle chantait "Payez, payez pour l'oxygène"... Faut dire
qu'elle avait 4 ans...)
Et allez le voir déconner dans un clip fait maison sur "Clique sur le mulot" :
http://www.dailymotion.com/video/x2z4m4_brain-damage-clique-sur-le-mulot_music
"La culture n'appartient à personne, ou plutôt elle est à
nous tous, elle doit circuler librement dans toute l'humanité, sans la
payer, la richesse des créations humaines doit être partagée en toute
liberté, pour que chacun puisse s'enrichir, élargir sa connaissance
spirituelle...
(...)
Fuck le pognon !
Nique l'argent !"
C'est tout Roland en quelques mots : révolte, générosité, mais aussi dérision, humour, naïveté, enthousiasme...
J'arrête. Je retourne vivre. Et je vais faire gueuler Brain Damage sur ma chaine, pour faire rire Roland, où qu'il soit.
2/
Depuis lundi, quand Jones m'a téléphoné pour
m'annoncer la triste nouvelle, il ne se passe pas une heure sans que je
revoie Roland...
Dans des conventions de SF, la cigarette au bec en train de raconter
avec enthousiasme son prochain roman; au micro de Brain Damage dans une
petite salle de répét' sordide où il m'avait trainé; dans une chaise
longue à Longpont sur Orge, chez Michel Pagel, où il avait séjourné un
moment et m'avait invité quelques jours (en l'absence de Michel,
dommage); chez moi à Roubaix, tard dans la nuit, tandis qu'on expliquait
avec enthousiasme au Z. les longs dialogues et le fun qu'on prenait sur
RTEL, en 3614, juste avant que Francis saisisse ma batte de base ball
et la brandisse en criant "moi aussi, je vais taper sur le minitel"...
Je le revois aussi courant sur le bar d'un petit bistrot Parisien où
Brain Damage donnait un concert sur une scène de 4m², et rentrant
super-content ("c'était un bon concert : j'ai couru sur le bar...") ou
découvrant la photo mal scannée d'une maîtresse en corset de cuir
illustrant la chanson "esclave" dans le recueil de textes de Brain
Damage que j'avais publié (avec la nouvelle alors inédite "Hors Monde,
Hors Temps", magnifique) et son commentaire amusé "on lui voit la
touffe, c'est bien", là où tout ce que je voyais, c'était une belle
paire de fesses, chacun son obsession...
Je le revois aussi me répondre avec sa mauvaise foi caractérisée, un
jour où je me fichais de lui parce qu'il se régalait de crevettes,
pauvres animaux innocents sacrifiés dans son estomac végétarien, enfin
végétarien sauf ce soir-là... Et lui, très sérieusement, très
véhémentement, très Wagnérien : "mais ces animaux-là ne pensent pas,
alors ça ne compte pas..."
Plein d'autres moments encore, car il ne fallait pas fréquenter
longtemps Roland pour accumuler les anecdotes, il était incroyable.
Incroyablement chaleureux, incroyablement humain, incroyablement
talentueux, incroyablement chiant aussi, voire même chieur, il en était
fier (mais je m'en fous : j'ai toujours été du bon côté, ouf ),
Je ne l'avais pas vu depuis une quinzaine d'années, mais on avait
échangé quelques mails, je savais ce qu'il devenait quand je croisais
AFR, et puis je lisais toujours ses romans, moi qui ne lisais quasiment
plus de SF (au point que je ne connaissais même pas ce forum, où je ne
suis arrivé qu'ici, à cause de lui et de sa mort idiote.)
Je remettais toujours au lendemain le fait de reprendre contact avec lui
(ceux qui me connaissent savent que c'est une de mes spécialités), et
je m'en accommodais très bien car je savais qu'au hasard d'un événement
ou d'un moment de vacances pas trop loin de chez lui, je n'aurais qu'à
sonner pour le retrouver et déconner comme si c'était hier...
Connerie ! J'aurais dû savoir que la probabilité que tout aille bien
diminue drastiquement avec les années, mes albums de photos commencent à
contenir plus de disparus que d'amis vivants, et ce n'est qu'un début.
Je n'ai plus que le regret d'avoir remis au lendemain. Des regrets et un
immense chagrin, des larmes qui coulent à chaque évocation de ce type
fabuleux que je n'ai pas peur d'appeler mon ami, même après tant
d'années sans le voir... L'absence n'est rien quand on sait qu'un coup
de fil peut la gommer, elle est insupportable quand elle est
inéluctable.
Merde.
Je pense à toi Sylvie, qui reste et qui souffre. Je ne t'ai pas vue
depuis au moins autant d'années, mais mon amitié n'en est pas moindre.
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