mercredi 19 septembre 2012

Rêves de Gloire - Roland C. Wagner


Je n'ai découvert que Roland avait publié un énorme roman de SF (SON énorme roman de SF) qu'au début juillet 2012, comme je l'ai expliqué plus haut en faisant une "rafale de Google" sur les gens que j'aime bien... Ça m'a un peu fait chier de n'apprendre l'existence de ce roman que plus d'un an après sa parution, mais bon, j'ai décroché de la SF depuis belle lurette et je ne fais que des passages éphémères sur divers blogs et forums où j'ai dû passer hors-buzz... Etonnant aussi que Cirroco Jones ne m'en ait pas parlé, elle qui est (était) mon dernier contact avec le fandom et qu'elle sait que je ne lis plus guère que les romans de Roland dans le domaine... [L'imparfait, non pas pour suggérer une rupture quelconque avec Miss Jones, mais pour indiquer que je me sens de nouveau "en contact" avec le fandom, depuis la Red Deff Con I ;-)  ]

Mais voilà, c'est comme ça, j'ai constaté qu'il avait non seulement publié "Rêves de Gloire", mais aussi "Le Train de la Réalité", j'ai vu qu'il s'agissait d'une uchronie sur la Guerre d'Algérie et de sa "séquelle", sans rien lire d'autre sur le sujet, à mon habitude, car je déteste savoir ce qui m'attend. Je ne lis même pas les 4e de couverture, c'est dire... Le même jour, j'ai aussi vu qu'un recueil de nouvelles de Michel Pagel était paru.
J'ai hésité un peu. Puis j'ai acheté le Pagel, repoussant l'achat des livres de Roland à la rentrée. Le poids et le prix du livre, le sujet pas vraiment attractif pour moi, le souvenir pas très bon de Pax Americana et de son humour un peu lourd, le fait que ce roman m'avait attendu plus d'un an et qu'il pouvait bien attendre un peu plus, le fait qu'on ne pouvait pas l'acheter en version numérique alors qu'un tel pavé est un plaisir à e-lire...

Je suis rentré de vacances le 5 août 2012. Le lendemain, Jones me téléphonait pour m'annoncer la nouvelle qui me hante depuis, comme elle hante tous ceux qui l'ont fréquenté un jour. Quelle place tenait ce démon de Roland pour qu'elle affecte autant même ceux qui ne l'avaient plus côtoyé depuis tant de temps ? Faut croire que le temps est une denrée toute relative pour les fans de SF... La preuve,  pour la Bradocon, j'ai revu des gens pour la première fois depuis 10 ans (oui Fred, je sais, 16 ans pour certains) avec le même plaisir et l'impression de continuer une conversation tenue l'avant-veille... Sauf qu'on ne s'attend pas à ce que la conversation puisse s'arrêter un jour. On croit toujours que, bientôt, on se reverra... Merde, j'ai un vinyle de Quicksilver Messenger Service acheté dans une braderie spécialement pour Roland et qui attend toujours, sur son étagère, "la prochaine fois qu'on se verra"...
:-(

Ah merde, je voulais juste faire une chronique de Rêves de Gloire et voilà ce que ça donne...

Pour revenir au sujet, je me suis décidé à commander le livre, je l'ai admiré et laissé un peu en vue, le temps que monte l'envie et, enfin, je m'y suis plongé, un peu à contrecœur toutefois, d'abord pour des raisons strictement matérielles : la manipulation d'un tel monument implique des moments de lecture assez longs et dans des positions peu périlleuse et j'avais peur de casser la reliure. Il faut reconnaître que les gens de l'Atalante font de beaux ouvrages : le dos est toujours intact et il a juste souffert d'une infime corne et j'ai eu du plaisir à manipuler le papier... (Mais pour une relecture, j'attendrai un epub ;-)  )
A contrecœur aussi, à cause du pitch repris partout "De Gaulle mort, pas de putsch des généraux, pas d’OAS, pas d’accords d’Évian, pas de réfé­rendum, et Alger reste française", du titre "Rêves de Gloire", un peu militariste, du fait que tout le monde s'accordait à dire que c'était son grand œuvre, avec reconnaissance dans des médias non spécialisés ! De quoi me faire peur. Je m'imaginais déjà que Roland, sur le tard, avait pondu un roman bien intello sur un sujet rébarbatif, nonobstant la suite du pitch "De nos jours, à Alger, l’obsession d’un collec­tionneur de disques pour une pièce rare des années soixante", qui aurait dû me réaiguiller sur la bonne voie (celle du Train de la Réalité)


Installé dans un fauteuil, j'ai enfin ouvert le pavé et entamé sa lecture... Il n'a pas fallu longtemps pour me retrouver en train de ricaner bêtement devant un texte parfaitement Wagnérien, limpide, péremptoire, ironique, jubilatoire et bouillonnant. Les pérégrinations des collectionneurs de vinyles me renvoyaient directement aux errances londoniennes de collectionneur de comics de ma jeunesse et aux fouilles en règle des bacs à vinyles des diverses braderies de la région par des collectionneurs tous plus âgés que moi, musette sur l'épaule et cahier rempli au crayon à papier de listes de titres à compléter à la main... Comment et pourquoi étais-je allé m'imaginer que j'allais lire un livre de sf sérieux sur une Guerre d'Algérie alternative ? Nom d'une crédille !

 Dès le début, en découvrant que la Gloire était le nom du LSD dans cette réalité alternative, j'ai eu un sourire irrépressible... Exit le côté militariste du titre ! Désolé, j'avais été trop bien conditionné par mes profs de français du lycée qui m'ont appris qu'on met une majuscule à chaque nom dans un titre de livre. Du coup, chaque fois que je lisais "Rêves de Gloire", je comprenais "Rêves de gloire", au lieu de "Rêves de Gloire" ! Après les 20 premières pages, plus de doutes, j'étais bien dans un roman de Wagner : la drogue, la non-violence, le rock, le Petit Clamart, l'humour...


J'ai ensuite été estomaqué par l'incroyable choix de narration de Roland, faisant parler successivement à la première personne un nombre phénoménal de personnages, de différentes époques, sans les nommer (normal, à la première personne)... Ce qui aurait pu être cacophonique et incompréhensible s'est révélé hypnotique et assez limpide : on écoute ces voix venus d'un ailleurs proche, passé ou présent alternatif, on prend les informations, parfois essentielles, parfois déversées à la tonne, on attend le retour de certaines, on en voit d'autres faire une seule intervention... Très vite, on ne se pose plus la question : la plupart des voix révèlent rapidement qui elles sont, par leur ton et ce qu'elles décrivent. Rarement, pour les paragraphes les plus courts, le narrateur reste inconnu, mais cela importe peu, le message passe...
Quelques lignes narratives régulières et continues forment une ossature romanesque solide :  personnages destinés à se rencontrer, eux ou leurs descendants, événements fondateurs du monde décrit, histoire du rock psychodélique et du gymnase algérois (je me marre rien qu'en l'écrivant). D'autres personnages ne font qu'un passage. tous participent à une incroyable mosaïque d'une densité phénoménale qui contribue à la solidité de l'univers alternatif que Roland décrit.

On entre lentement, voire même très lentement dans Rêves de Gloire. On absorbe toutes les informations réelles ou imaginaires dont Roland nous abreuve, sans être parfois capable de discerner ce qui est vrai ou faux. Je n'ai jamais été un grand spécialiste de l'Histoire, mais sur cette période-là, je suis carrément un ignare et Roland a peut-être même décrit des choses qui n'ont jamais existé, allez savoir... Ce n'est pas moi qui le contredirai... ;-)
Toutefois, j'ai la preuve absolue que c'est une œuvre de fiction, car on n'écrit pas rock "psychodélique" de notre côté de la réalité...

Un morceau de gymnase algérois avant de continuer la chronique : "Méfie-toi du savant fou" par les Fers à repasser surréels :

Comme je le disais, j'y suis entré vraiment lentement et je disais à AFR dans un mail, alors que je venais de passer les 200 pages : "J'aime bien Rêves de Gloire, j'y avance un peu comme dans un Palais des Glaces, avec prudence et plaisir... J'y vois plein de personnages qui se reflètent, dans une réalité pas très clairement définie et à laquelle je suis étranger. Je me perds aussi un peu dans le choix de narration fait par Roland, plein de personnages différents qui s'expriment tous à la première personne. il me faut quelques lignes à chaque fois pour savoir de qui je viens de reprendre le fil de l'histoire. Ça me fait un effet un peu kaléidoscopique, ça va bien avec les tye dye de Roland, petit à petit la mosaïque prend forme et je suppose que l'image va être de plus en plus nette... Je l'espère en tout cas, sinon je serai quand même un peu déçu...
Et puis, l'histoire du rock parallèle me parle davantage que l'histoire de la guerre d'Algérie... Je devrais peut-être en avoir honte, mais en fait, ça me fait bien rire et ça ferait rire Roland aussi, je suis sûr..."


André m'a alors répondu "je ne suis pas certain d'avoir pigé la fin, pas certain en fait qu'elle fonctionne au top. mais c'est pas grave, j'étais malgré tout pleinement satisfait du voyage..."(1)  et les mots qu'il a employés ont éveillé des échos en moi... La dernière fois que j'ai lu que "peu importe le but, c'est le voyage qui compte", c'était Stephen King qui le disait (lol, AFR paraphrasant King sans le savoir... Va être mort de rire en me lisant, mon André...) en parlant de son cycle de la Tour Sombre, dont, évidemment, il prévoyait que personne ne serait satisfait de la fin (lui même ne l'étant pas vraiment). J'ai été assez furax à la fin du tome 7 de la Tour Sombre, à cause de son mauvais goût de "tout ça pour ça"... Et pourtant en y réfléchissant par la suite, je ne vois effectivement pas bien comment King aurait pu mieux faire et cette fin , toute classique et imparfaite qu'elle soit s'intègre bien dans la logique du cycle. Et comme le King le faisait remarquer : le voyage était digne d'être vécu, à travers les vingt ans qu'a duré le cycle...
Pour en revenir à la Gloire et à ses rêves, suite à la remarque d'André, je n'ai pas attendu de fin éclatante, j'ai suivi et savouré la plongée dans l'univers de Roland, je me suis attaché aux personnages et à leur(s) histoire(s), je me suis laissé glisser sur les passages un peu trop "pointus" historiquement où je ne pouvais de toutes façons pas déterminer la part de l'imaginaire et celle du réel, je me suis vraiment bien amusé avec l'histoire du rock revisité, savourant les créations de Roland, toujours empreintes d'humour, et, en même temps si invraisemblables (franchement, vous imaginez un groupe appelé les "Cravates à Pois" ? Complètement crétin... Pourquoi pas les Chaussettes Noires, tant qu'on y est...)

Une critique négative, s'il en faut une, c'est que l'intrigue "principale", celle du disque maudit, est un peu faiblarde sur la fin et aurait mérité une "malédiction" plus crédible, mais ce n'est qu'une voix parmi toutes celles qui peuplent ce roman d'une densité extraordinaire. On en sort en se disant "il faut que je le relise"... Pour moi, ce sera dès que la version numérique sera disponible : je ne prendrai pas le risque de voir s'abimer mon exemplaire : c'est comme les vinyles de collection, on les écoute une fois, puis on ne les sort plus jamais de la pochette !!!

Pour finir, je vous offre un document inédit : le clip des Glorieux Fellaghas, pas celui de Rêves de Gloire, évidemment, beaucoup trop rare et létal de surcroît, mais celui de la face B, "Regarde vers Lorient"... Un must, évidemment...



(1) Ceci n'est que l'extrait d'un long mail qui explique que j'ai vécu autrement la lecture du livre après cet échange... Il peut laisser penser qu'AFR n'a pas aimé le bouquin, alors que le reste de son message disait le contraire (cf les commentaires ci-dessous et son blog). Désolé pour le malentendu virtuel que tu as bien fait de dissiper, André...

6 commentaires:

  1. Jean-Jacques Nguyen19 septembre 2012 à 21:41

    Remarquable chronique, avec ce qu'il faut de vécu et d'émotion...
    Je n'ai toujours pas fini "Rêves de Gloire". J'avance petit à petit (quelques pages à chaque fois) vers la fin.

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    1. Merci JJ.

      J'ai avancé comme toi dans Rêves de Gloire. Petit à petit. Je n'éprouvais pas la terrible fringale qui peut te saisir quand tu lis un bouquin palpitant et que tu VEUX savoir la suite, maintenant, tout de suite, quitte à y passer la nuit (enfin, une partie, la nuit complète, ça fait partie du passé : avoir trois enfants, ça modifie les horaires)...
      Pourtant, je ne m'ennuyais pas à la lecture, même dans les passages auxquels j'étais le plus hermétique par méconnaissance des événements historiques.
      J'ai pris plaisir à le lire, tranquillement, à l'absorber par osmose plutôt qu'en le dévorant sauvagement...

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    2. Jean-Jacques Nguyen20 septembre 2012 à 19:07

      Oui, c'est tout-à-fait ça. Le récit éclaté n'aide pas à tourner les pages toute la nuit. Mais à chaque fois que je le reprend, c'est toujours avec un plaisir de lecture intense.

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  2. puisque le Bird cite un de mes emails, je vais m'auto-citer d'un autre email... "j'ai adoré, réellement adoré. je n'y connais rien non plus, historiquement, mais m'en foutais: je connais Roland, c'était son univers, c'est tout, et que ma connaissance de la réalité ne se distingue guère de cette uchronie faisait, pour moi, partie du jeu. j'ai trouvé ça absolument captivant et touchant et... immergeant, si j'ose dire. quelques temps auparavant j'avais relu d'un bloc toute la série des Futurs mystères de Paris, avec un intense plaisir, et Rêves de Gloire prolongeait avec bonheur ma redécouverte de Roland. tu sais, ça a même été au point où j'ai dans la foulée du roman lu l'énorme bio de Camus par Todd, afin d'en quelque sorte prolonger cela. ça m'a éclairci sur pas mal de points historiques, mais je continue à mélanger avec allégresse uchronie et réel."

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    1. Ouch, tu fais bien de citer ton mail in extenso...Je m'étais fait la réflexion hier soir en revoyant l'orthographe de la chronique, que ça pouvait laisser croire que tu n'avais pas aimé RdG, alors que je ne citais cet extrait que parce que tu m'as ôté du "poids de l'attente"...

      J'ai changé de point de vue de lecteur suite à ton mail... Au lieu d'être assis sur le bord du siège à essayer d'apercevoir la destination du Train de la Réalité, je me suis enfoncé dans le confort des sièges de première classe offerts par la RCW (Reality Company Wagons) pour mieux apprécier le voyage et le paysage (déchiré).

      Je vais de ce pas faire une note dans le texte, pour ne pas enduire ceux qui ne lisent pas les comm d'erreur :-D

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  3. Heu, voui, la réponse est dans la question "elle sait que je ne lis
    plus guère que les romans de Roland dans le domaine".
    Et je n'ai jamais lâché le morceau Bird totalement crazy dans les
    grands méandres mainstream. Je suis vorace et coriace, t'as pas eu le
    choix petite-corneille, j'ai tenu bon jusqu'à la raide déf' où Roland
    nous a mis une baffe, une grosse... Mais il a toujours su comme nous
    que tu es un lendineur, pardon, un lambineur, pas un mécréant d'infidèle.
    Tiens, prends un mouchoir! Comme tu le suggères avec justesse et avec
    André : tu fais partie du voyage.

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